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La Rahla - Amicale des Sahariens

Thierry Tillet : « Les héros mythiques touaregs sont toujours vivants »

touaregArchéologue et explorateur saharien, Thierry Tillet est revenu d’un long périple au Maroc et en Mauritanieavec pleine choses à raconter. Il prépare le récit de ce voyage. En attendant, il a animé pour notre comité Ile-de-France, le 13 mai 2014 à Paris, une soirée consacrée aux héros mythiques Touareg Anigouran, Adelasegh, Amerolqis, Elias et Abou d’Elias, avec la complicité du conteur Ahmed Abdoulaye Boudane et du chanteur Moussa Bilalan Ag Ganta. Nous l’avons interrogé sur ces personnages de légende dont les caractères nous permettent de mieux comprendre le monde touareg…
Comment votre intérêt pour les personnages mythiques de la culture touarègue est-il apparu?
Pendant de nombreuses années, alors que j’étais concentré sur mes recherches scientifiques de préhistorien, j’ai entendu mille et une versions des histoires associées à ces personnages. Ces histoires ont nourri mon imaginaire et, peu à peu, je m’y suis intéressé plus précisément. Mes amis là-bas comme Liman ag-Feltou, le neveu de Mano Dayak, se sont fait un plaisir de me les raconter encore et encore. Les hommes ont appris ces histoires de leur mères et grand-mères. En effet, ces histoires étaient traditionnellement racontées par les personnes âgées, en particulier les femmes qui parlent beaucoup aux enfants. Réels ou fictifs, ces personnages mythiques servent à enseigner le code de conduite qu’est l’achat, ce code qui régit la vie des Touareg.
Qui sont les principaux héros de la mythique touarègue ?
Il s’agit d’Anigouran, d’Adelasegh, d’Amerolqis, d’Elias et d’Abu d’Elias. Les noms et leur prononciation varient d’une région à l’autre puisque la transmission est orale et que rien n’est figé par l’écriture. Par exemple, à travers tout le Sahara, Anigouran peut aussi bien s’appeler Aligouran, Arigullan, Anougouran, voire Amamellen. Il possède la clarté, fait preuve de discernement, c’est un modèle de sagesse.
Qu’arrive-t-il à ces personnages qui leur vaut un tel intérêt ?
Par exemple, c’est à Anigouran que l’on devrait l’invention de l’écriture gravée sur les rochers de l’Aïr, le tifinagh ancien. Il aurait inventé cette écriture pour que son neveu Adelasegh, capturé avec sa sœur par des brigands, puisse retrouver son chemin grâce aux messages codés en tifinagh qu’il avait gravé sur les rochers de l’Aïr et qu’Adelasegh était alors le seul à les décoder…
Anigouran s’est aussi livré à de grandes joutes orales avec son neveu sans qu’aucun des deux ne l’emportent, sans oublier les nombreuses épreuves exigées par Anigouran envers Adelasegh. Anigouran aurait désigné l’emplacement de la création de la ville d’Agadès, en projetant sa lance depuis Tadaliza, au bord de l’oued Telwa.
Quant à Amerolqis, dont le nom pourrait venir d’un grand poète d’Arabie, Imrou el-Qays du VIème après J.C., il appartient au monde préislamique. Puissant et intelligent, c’est un géant et un grand coureur de femmes. Mais il est trop grand, trop fort et il les effraie. Alors, pour les apprivoiser, il aurait inventé l’imzad, cet instrument de musique dont jouent les femmes touarègues.
En fait, si les attributs de ces personnages mythiques ne sont pas très distinctifs ils font tous preuve d’une grande intelligence et sont dotés d’une grande puissance.
Ces contes et ces personnages mythiques ont fait l’objet d’études approfondies, par exemple celles du géographe Edmond Bernus. Aujourd’hui, des livres de contes touaregs sont édités et faciles à trouver grâce à internet.
Après l’intermède de ces personnages mythiques, quels sont vos projets ?
Je prépare une conférence, pour cet été, sur l’archéologie soufie chez les Kounta, population arabo-berbère résidant surtout dans l’Azawad au Mali, le Tagant en Mauritanie, le Sahara occidental et le sud du Maroc. J’alimente aussi une page Facebook que j’ai créée pour faire connaître l’histoire des Kounta de l’Azawad, en partant d’un célèbre manuscrit dont le contenu était jusqu’à présent très peu connu. Le Kitab al-Taraïf ouat-Talaïde fi Karamat ech-Cheïkheïne el-Oualida que l’on traduit par « Le livre des biens hérités et des biens acquis, sur les vertus des deux Cheïkhs mon père et ma mère » a été écrit par le Cheïkh Sidi Mohammed ben Mokhtar au tout début du XIXème siècle. J’entreprends ce travail de longue haleine avec mes amis Kounta, descendants de la grande famille issue du Cheïkh Sidi Mokhtar al-Kébir, en passant par le sulfureux Cheïkh Abidine al-Kunti.